dimanche 21 octobre 2012

Bruce Springsteen, ou quand le fantasme se mêle au réel

Nouvel article, nouveau thème, nouvelle réflexion.

Vendredi 19 octobre 2012, j'ai vécu un truc unique que j'ai très envie de partager avec la Terre entière, voire même avec les extraterrestres si ça les branche et tout le reste du système solaire aussi. Mais, avant de rentrer dans le vif du sujet, je vais essayer d'en planter le décor.

Donc, depuis plus de 16 ans, je suis cinglée de Bruce Springsteen. À l'époque, au milieu des années 90, j'étais en mode monomaniaque, hystérique, fanatique d'un boys band extrêmement populaire en Europe et surtout en France, qui s'appelait les Worlds Apart, pour ne pas les citer. Ma mère, avec qui je vivais, commençait à se demander combien de temps cette folie allait durer, combien de fois elle devrait corrompre les amies de mon grand frère pour m'accompagner aux concerts, combien de temps elle devrait encore endurer la « musique » à fond dans ma chambre. Ils étaient beaux, chantaient (de la merde) correctement, parlaient d'un amour parfait comme on peut en rêver plus ou moins consciemment à 10 ans, avaient l'air d'être des petits copains parfaits, bref, tout ce qu'il faut pour entretenir la passion chez ces milliers de jeunes filles dont je faisais fièrement partie.

Jusqu'à cette journée de l'été 1996, sur une route de campagne déserte en voiture avec mon père. Sans rien dire, il a mis l'album « Darkness On The Edge Of Town » et l'effet sur moi a été rapide comme la foudre, littéralement. Dès les premières notes du premier morceau, je me suis sentie connectée, concernée, comme envoûtée, sans comprendre un traître mot de ce que j'entendais sortir de l'autoradio. Pourtant mon niveau d'anglais, même à l'époque, était relativement avancé. D'ailleurs, permettez-moi ici une petite parenthèse pour dire un grand merci aux Worlds Apart et à leur prose si peu évoluée, qui m'ont permis d'améliorer mon niveau dans la langue de Shakespeare, en traduisant rigoureusement toutes leurs chansons dans un cahier, dont je prenais encore plus soin que de mes cahiers d'école (déjà à l'époque, la musique passait loin devant) ! Fin de la parenthèse, merci pour votre patience.

 
Donc, après avoir passé un mois à casser les pieds de mon père pour écouter constamment  « Darkness » et « Born To Run », qu'il m'a fait découvrir le lendemain, je suis rentrée chez moi, ai arraché vigoureusement tous les posters des gars sus-mentionnés qui recouvraient les murs de ma chambre, sous les yeux circonspects de ma mère, et me suis immédiatement plongée dans la vie et l’œuvre de Springsteen. 

Le premier des 11 concerts que j'ai vus de lui, en 2002, a achevé de me faire inexorablement tomber dans la marmite pour ne plus jamais en sortir. À la limite, je suis heureuse de m'y enfoncer un peu plus chaque jour, ça me fait du bien d'avoir un genre d'idole comme lui, qui prône des valeurs auxquelles j'adhère aussi personnellement, qui respecte énormément son public, qui n'a jamais fait deux fois le même concert en 40 ans de carrière et qui prend un plaisir évident à jouer au moins 3 heures tous les soirs. C'est le contrat qui le lie à son public, comme il le dit lui-même. Vous en connaissez beaucoup des artistes de cette envergure qui voient les choses comme ça, en vendant leurs tickets deux fois moins chers que les autres de la même trempe? Je pense que non, tout simplement parce qu'il n'en existe pas d'autre.

Vous constatez donc que je suis sévèrement atteinte de springsteenite, probablement sous une forme aiguë qui plus est. Et c'est un truc que j'assume très bien, merci. Mais ma fan attitude a ses limites, heureusement. Je veux qu'il reste à sa place d'idole dans ma vie, qu'il continue à me servir de refuge intérieur quand j'en ai envie ou même besoin. Dans cette optique-là, je me fous de savoir à quel hôtel il va, s'il aime les pois-chiches ou s'il préfère la vodka ou la grenadine (ou peut-être les deux ensemble? mmm!). Je laisse ça à d'autres, sans les juger pour autant (enfin, pas beaucoup, juste un peu...). En discutant avec d'autres fans du monde entier, je passe souvent pour une énigme. J'aime intensément sa musique (pas tout, lui aussi est capable de sortir des bouses, surtout ces dernières années, mais c'est un autre sujet), j'adore plus que tout le voir en concert partout où je peux, je m'intéresse beaucoup à ses positions sur la politique, la société américaine dans laquelle il vit (qui me fascine aussi) et s'est façonné, j'ai lu beaucoup d'ouvrages qui lui sont consacrés, mais je me contrefous de lui serrer la main ou de lui demander un autographe.

Ça va même plus loin, non seulement ça ne m'intéresse pas du tout, mais c'est carrément un truc auquel je refuse de me laisser aller. Il est trop bien installé sur son piédestal dans mon panthéon personnel, et je veux qu'il y reste encore longtemps. Alors, plutôt que d'avoir des pensées ou des fantasmes irrationnels suscités par plusieurs artistes ou autres personnages publics, j'aime autant tout concentrer sur un seul, lui. Comme quoi, j'ai toujours ce côté monomaniaque en moi, mais plus l'hystérie qui allait avec lorsque j'avais 10 ans. Vous me direz, je n'ai jamais pris cette décision de mon plein gré, c'est elle qui s'est imposée à moi naturellement. Il y a bien d'autres artistes qui me passionnent (presque) autant que Springsteen, comme Tom Waits, The Clash ou, dans un autre domaine, Charles Bukowski. Mais j'ai beau connaître leur vie par cœur, ils ne me procurent pas la même sensation de familiarité, de vieux copain ou de réconfort, que j'aime tant avec Springsteen.

Sauf que vendredi 19 octobre 2012, mon monde réel a mis un pieds dans mon fantasme. Laissez-moi vous dire que c'est une expérience incroyable, un truc nouveau pour moi, que je n'aurais jamais pu imaginer.

Je suis allée le voir en concert à Ottawa, avec une copine fan aussi. C'était son anniversaire ce soir-là et elle a fait le voyage de Paris presque juste pour ce concert. Il fallait donc qu'on s'organise pour que cette soirée soit au top. Pour commencer, on se devait d'être dans le pit, cette partie du parterre qui se trouve juste devant la scène. Sauf qu'en Amérique du Nord, contrairement à l'Europe, ce n'est pas le système du premier arrivé premier servi, mais un tirage au sort. Donc là, on était 700 à vouloir y aller, pour seulement 500 places... On a eu beaucoup de bol, parce qu'à 15 personnes près, on n'y était pas. Mais la chance a décidé de nous sourire, ce qui était une première victoire dans cette soirée, donc on s'est retrouvé idéalement placé à 4 mètres du micro de Springsteen.

La foule avait l'air très cool, les gens étaient aussi impatients que nous que le show commence, et personne n'a été déçu de l'entrée en matière du Boss et de son E Street Band, enrichi sur cette tournée d'une section de cuivres, de choristes et d'un percussionniste. The Promised Land, The Ties That Bind, No Surrender et Hungry Heart pour commencer, et paf ! une première petite claque derrière la tête, histoire de me rappeler qui j'ai devant moi. Le pit est comblé, joyeux, une ambiance bon enfant y règne, tout est parfait. Évidemment, avec ma copine, on connaît bien les petites habitudes de Springsteen pendant ses spectacles. On sait, par exemple, qu'il aime bien faire monter une fille du public sur scène pendant qu'il joue Dancing In The Dark, vieux tube du milieu des années 80. Histoire de tenter notre chance, enfin surtout celle de ma copine, on avait préparé une belle petite pancarte pour attirer son attention, qu'on brandissait entre chaque morceau, mais on aurait dit que Bruce avait décidé de ne pas regarder dans notre direction. Pas grave, on continue de savourer chaque seconde et de s'éclater. Suivent We Take Care of Our Own, Wrecking Ball, chanson titre du dernier album, Death to My Hometown puis My City of Ruins, qui comprend en introduction un magnifique hommage au regretté saxophoniste de la première heure, Clarence Clemons, décédé subitement en juin 2011. Puis Spirit in the Night, en hommage à tous les fantômes qui accompagnent chaque personne présente dans la salle (dixit Bruce). Pour rester dans la même période, on a eu droit à un excellent E Street Shuffle, joué sur demande du docteur qui a débouché l'oreille de Bruce l'après-midi même, alors qu'il n'entendait plus rien (!), suivi du cinglant Jack Of All Trades, malgré un tempo très tranquille.

À mon humble avis, c'est à ce moment-là que Bruce a décidé de vraiment faire décoller le concert, puisqu'il nous a balancé une vielle version de Prove It all Night, avec la même intro que sur la tournée de 1978. Décoiffant, c'est le moins que l'on puisse dire, et ponctué par un solo grinçant de Niels Lofgren. Wow. Juste après cette deuxième claque, il m'en assène directement une troisième, en jouant Candy's Room, une de mes chansons préférées depuis toujours, que je n'avait jamais vue en live. Bon. On pourrait croire qu'après 10 concerts je devrais savoir à quoi m'attendre, mais non. La seule chose que je sait en entrant dans la salle, c'est que ça va être unique, et sûrement mémorable. Et encore une fois, je ne me suis pas trompée. Il continue avec Darlington County, Shackled And Drawn, Waitin' On A Sunny Day pendant laquelle il fait monter sur scène deux petits garçons pour chanter le refrain et qui lui volent finalement la vedette. D'habitude, je n'aime pas trop ce moment avec un enfant, mais je dois avouer que ces deux frères étaient très drôles. Ensuite, pour satisfaire les nombreuses demandes que l'on pouvait voir sur des pancartes, il a enchaîné avec Drive All Night, très belle chanson et très beau moment. Viennent ensuite The Rising et Badlands, qui terminent le concert avant les rappels. En fait, ce n'était pas vraiment un rappel puisque le groupe n'a pas quitté la scène, histoire de ne pas perdre de temps, mais en entendant les premières notes à l'harmonica de Thunder Road, on a bien compris que c'était la dernière ligne droite de la soirée.

Là, Springsteen s'est dirigé vers le pit et a fait signe à une fille du public de s'approcher de la scène avec la pancarte qu'elle portait pour demander une chanson. Horreur ! En voyant le titre, Queen Of The Supermarket, j'ai tout de suite pensé à une blague, puisque c'est à mon avis un des morceaux les plus inutiles du catalogue springsteenien. Même lui l'a dit, cette chanson n'a jamais été réclamée pendant un show, jamais, tellement jamais qu'il ne l'avait jouée qu'une seule fois auparavant. Mort de rire, il a décidé de la jouer en solo pour faire plaisir à la fille qui travaillait effectivement dans un supermarché. Mon horreur s'est transformée en sourire, puisque après tout, très peu de personnes peuvent se vanter de l'avoir entendue en live ! Et puis ça a provoqué en moi une impression spéciale. S'il est capable de jouer ce genre de niaiserie sur demande, alors il est capable de tout. Encore trois petites chansons, et non des moindre, et il allait me le prouver. Il continue donc avec We Are Alive, Born To Run et Glory Days, pour le plus grand bonheur de tous, y compris les gens moins fans du public qui ne connaissaient que la partie mainstream de ce bon vieux Bruce.

Et là, soudain, les premières notes de Dancing In The Dark. Mon cœur s'est mis à battre la chamade et j'ai secoué ma copine pour qu'elle brandisse sa pancarte un peu plus haut. Bruce l'a vue, son guitariste aussi qui s'est même mis à rire en voyant ce qui était écrit ( It's my 26th birthday, so please marry me dance with me !). Le morceau progressait, arrivait vers la fin, je n'en pouvais plus, j'étais au bord de l'apoplexie. Et ENFIN, Bruce s'est dirigé directement vers nous, en pointant l'index vers ma copine et son panneau. Putain, c'est pas vrai. Je rêve. J'hallucine. C'est impossible, ça n'arrive qu'aux autres. Sauf ce soir-là, où ça nous est arrivé à nous, enfin à elle. Mais à moi aussi, ça a fait quelque chose.

J'étais au milieu de 18000 personnes, devant mon idole, cette superstar mondiale qui a changé la vie de tant de personnes en accomplissant la sienne, qui a vendu des millions de disques, créé des tubes intemporels, fait des concerts sur tous les continents, fait rêver des milliers de filles et de femmes, et le voilà qui danse avec ma copine. Rien que le fait de l'écrire, j'en ai encore la chair de poule. Ma copine en question, qui fait par définition partie de ma vie réelle, quotidienne, dansait avec Bruce Springsteen. En fait, c'est comme si c'était moi qui dansait avec lui, sauf que la scène se passait devant mes yeux, et ça donne une perspective incomparable. L'objet de mes fantasmes (pas sexuels les fantasmes, bien qu'il soit doté d'une paire de fesses de compétition, malgré ses 63 ans) était sous mes yeux, mélangé avec ma vraie vie. J'avais une boule dans le ventre terrible, je tremblais comme une feuille mais en plus, il fallait que j'assure le côté souvenir pour ma copine, en prenant des photos ! Le résultat est à l'image de la situation, un peu flou mais pas trop, plein de bonheur sur le visage de ma copine et aussi celui de Bruce, pas très cadré mais tellement inoubliable !

Pour moi, c'était le comble du fantasme. S'en approcher très très près, mais ne pas y toucher, pour ne pas qu'il dégringole de son piédestal et se retrouve au même niveau que les autres. Je souhaite à quiconque qui a lu ces lignes de vivre un jour une telle chose, tellement c'est bon.

Petit souvenir pour ma copine, pour moi et pour qui veut partager notre bonheur.



Pour ceux qui aiment Springsteen, venez faire un tour sur le forum francophone Land of hope and dreams, truffé d'infos et de gens cool !

3 commentaires:

  1. Que se sont dit spingsteen et ta copine ??? ;)

    RépondreSupprimer
  2. hahahaha Bruce lui a demandé si c'était vraiment son anniversaire, et, une fois qu'elle a eu compris, elle a dit... oui ! Une vraie conversation philosophique et profonde, quoi ;)

    RépondreSupprimer
  3. J'ai eu la chance de vivre la même expérience lors du seul show de Ace of Base a Montréal, a vie, en août dernier. Nous étions dans la première rangée du Théâtre Corona, et soudainement, l'objet de nos fantasmes d'adolescentes, Ulf Buddha Ekberg a touché la main de ma chum. L'extase crois moi! Bon ok, Ace of Base vs Bruce, pas la même chose sur papier, mais dans mon coeur, ohh oui ;)

    RépondreSupprimer